Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

par soi. On découvre que quelques-unes de nos plus grandes admirations nous ont été imposées ; que ce qui nous fait le plus de plaisir ou le plus de bien, ce ne sont pas toujours les œuvres reconnues et consacrées, mais tel livre moins célèbre, qui nous parle de plus près et pénètre en nous plus avant… Or, si chacun faisait ainsi, quel désordre ! quelle anarchie ! Il n’y aurait pas d’histoire littéraire possible, ni même concevable, si la multitude n’en croyait quelques-uns sur parole.

Enfin, cette suggestion que les conducteurs des esprits et, si vous voulez, les critiques dignes de ce nom exercent sur le vulgaire, ils l’exercent souvent aussi sur eux-mêmes. Oui, il y a dans la critique une grande part d’auto-suggestion et, je dirai presque, d’auto-snobisme. L’homme est ainsi fait qu’il tire vanité de ses admirations : il se pique d’admirer pour des raisons qui lui appartiennent, et il s’admire alors lui même d’admirer avec tant d’originalité. Par là, le critique même le plus loyal est conduit à s’exagérer ce qu’il sent de beauté dans un écrivain, et presque à l’inventer. Dogmatiste ou impressionniste, il a volontiers des jugements qui ressemblent à des défis, et dont il se sait d’autant plus de gré. Nisard en a aussi bien que Taine, pour ne nommer que des morts. Tout critique est, plus ou moins, sa propre dupe, la dupe de ses théories et de ses idées générales, qui faussent à son insu ses jugements particuliers. Tout critique affecte de voir à certains