Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/153

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ce catholique païen ! Et Sapho — avec les différences que vous sentez et qui sont toutes à l’avantage de Daudet — est simplement la Manon Lescaut de ce siècle : c’est notre version, à nous gens d’à présent, de l’éternelle aventure des captifs de la chair ; version parfaite et définitive, d’une signification si générale et d’une couleur si particulière ! Et Sapho est donc un chef-d’œuvre, et je crois que l’Évangéliste en est un autre. Et ces livres ont à la fois un sourire à fleur de phrase et, gonflé jusqu’à déborder souvent au travers, un profond réservoir de pitié et de tendresse humaine.

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Et l’écrivain, chez Daudet, est de la qualité la plus rare. La Bruyère, Saint-Simon, Michelet, sont de sa famille. Dans ses derniers ouvrages surtout, son style est celui d’un extraordinaire « sensitif ». Il a l’immédiat frémissement de la vie aussitôt exprimée que perçue. Pas une phrase de rythme oratoire ou de tour didactique. Jamais on ne fit un tel usage de toutes les « figures de grammaires » abréviatives : anacoluthe, ellipse, ablatif absolu. Des notations brèves, saccadées, comme autant de secousses électriques. Pas un poncif ; une continuelle invention verbale. L’impression, vers la fin, en était presque trop forte, et comme lancinante. C’était comme le trop-plein de sensations qui vous oppresse par les temps d’orage. On eût dit, en feuilletant cette