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la plus difficile : celle qu’on fait de son vivant. Elle a dédaigné la gloire de ce dur et habile M. de Montyon. Si elle eût seulement légué quinze ou vingt millions aux indigents, elle passait du coup pour une des plus illustres bienfaitrices de l’humanité souffrante. Elle s’y est refusée, par un tact très délicat. Elle a redouté de recevoir alors plus que sa récompense : elle a craint la statue. Il faut apprécier ici la modestie et la finesse de sa pensée, quoique les pauvres en aient pâti.

Au reste ce détail, et aussi le formidable total de sa fortune, ont été connus trop tard pour arrêter les premières manifestations de l’admiration et du deuil publics. Déjà cette dame avait reçu, vivante, la distinction officielle la plus considérable qui ait jamais été accordée à une femme. Ses obsèques ont été suivies par de nombreux représentants du pouvoir et par le président du Conseil municipal socialiste de Paris. Tout cela est bien curieux. Je ne prétends pas que, vivante ou morte, on l’ait uniquement récompensée d’avoir été riche : mais il ne serait pas non plus exact de dire qu’on l’a uniquement récompensée d’avoir été charitable. Ce qu’on a glorifié en elle, c’est l’un et l’autre à la fois, c’est la rencontre impressionnante d’un peu de vraie bonne volonté et de beaucoup d’argent. Et l’on croit la démocratie envieuse !

Certes elle l’est : mais qu’elle est douce aussi, et facile à séduire ! Un saint Jean Chrysostome ou un