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de Jésus et aux doux Ébionites. La méprise est forte, ou la générosité étrange. Les disciples de Jésus étaient sobres et chastes. Ce qu’ils s’assuraient les uns aux autres par la mise en commun de leur pauvreté, ce n’était point leur part intégrale des jouissances terrestres, telle que la peut concevoir un ouvrier, et qui comporte, très naturellement, une nourriture copieuse et les plaisirs qu’on trouve chez le marchand de vin et ailleurs : ce n’était que quelques figues sèches et la douceur d’attendre ensemble le royaume de Dieu. Mais, chose remarquable, les révolutionnaires modernes, qui sont, en philosophie sociale, des rêveurs intrépides, sont pourtant aussi, presque tous, des matérialistes décidés. Ils ont la bonne foi de reconnaître la légitimité des appétits qu’ils flattent ou déchaînent. Tout en présentant au prolétariat un idéal qui ne saurait être atteint que par le sacrifice volontaire et le progrès moral de chacun et de tous, ils n’exigent point de leurs clients ce perfectionnement intérieur et, bien entendu, ne s’y obligent point eux-mêmes. Et, avec une bonne foi pareille, leurs clients ne leur demandent pas non plus d’être vertueux, ni austères, ni exceptionnellement charitables. Quand vous pourriez démontrer au parti que tous ses chefs vivent comme des bourgeois luxurieux, il ne s’en scandaliserait point. Car tout ce qu’il veut, c’est entendre d’eux certaines paroles. Aucun ouvrier n’en a jamais voulu à tel écrivain démagogue