Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/311

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certante ici que ces manifestations invraisemblables de vraisemblables pensées sont mêlées çà et là de traits de vérité comique. En sorte qu’on ne sait plus bien ce qu’on a devant les yeux. Si ces personnages sont des abstractions et des symboles, au moins qu’ils le soient sans interruption ! (Ajoutez que, dans la vie réelle, un conseil municipal peut bien être uniquement composé d’âmes médiocres et viles, mais est composé aussi de pères de famille dont le fils est astreint au service militaire, et qu’ainsi, la salubrité des casernes ne saurait être tout à fait indifférente à leur égoïsme.)

L’artifice consiste encore à faire célébrer par les bourgeois eux-mêmes, en style livresque et d’une ironie énorme, l’ignominie du type dont ils s’avouent les représentants. «… Un bourgeois est mort… Nous ignorons son nom, qu’importe ? Nous connaissons son âme ! Messieurs, c’était un bourgeois vénérable, gras, rose, heureux !… Son ventre faisait envie aux pauvres… Sa face réjouie, son triple menton, ses mains potelées étaient pour chacun un vivant enseignement social… » Et chaque conseiller exalte à son tour le défunt en strophes et antistrophes harmonieusement balancées. Et le plus vieux conseiller chante la dernière strophe : « Oui, ce fut un héros ! Un héros modeste, silencieux et solitaire !… Comme il sut écarter de sa maison les amis, les pauvres et les chiens !… Comme il sut préserver son coeur des basses corruptions de