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ALFRED DE VIGNY.

Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,
Pressés au large pied de la montagne sainte,
Les enfants d’Israël s’agitaient au vallon
Comme les blés épais qu’agite l’aquilon.
Dès l’heure où la rosée humecte l’or des sables
Et balance sa perle au sommet des érables,
Prophète centenaire, environné d’honneur,
Moïse était parti pour trouver le Seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête ;
Et lorsque du grand mont il atteignit le faîte,
Lorsque son front perça le nuage de Dieu
Qui couronnait d’éclairs la cime du haut lieu,
L’encens brûla partout sur des autels de pierre,
Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,
À l’ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d’une voix le cantique sacré,
Et les fils de Lévi s’élevant sur la foule,
Tel qu’un bois de Cyprès sur le sable qui roule,
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,
Dirigeaient vers le ciel l’hymne du Roi des rois.

Et, debout devant Dieu, Moïse, ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face.
Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ?
Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?
J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu :
Voilà que son pied touche à la terre promise.
De vous à lui qu’un autre accepte l’entremise,
Au coursier d’Israël qu’il attache le frein !
Je lui lègue mon livre et la verge d’airain.