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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Si tu veux dévoiler ton front jeune et divin
Peut-être, heureux vieillards, nous sourirons enfin !

Celle pour qui j’écris avec amour ce livre
Ne le lira jamais : quand le soir la délivre
Des longs travaux du jour, des soins de la maison,
C’est assez à son fils de dire une chanson ;
D’ailleurs, en parcourant chaque feuille légère,
Ses yeux n’y trouveraient qu’une langue étrangère,
Elle qui n’a rien vu que ses champs, ses taillis,
Et parle seulement la langue du pays.
Pourtant je veux poursuivre ; et quelque ami peut-être
Resté dans nos forêts et venant à connaître
Ce livre où son beau temps tout joyeux renaîtra,
Dans une fête, un jour, en dansant lui dira
Cette histoire qu’ici j’ai commencé d’écrire,
Et qu’en son ignorance elle ne doit pas lire ;
Un sourire incrédule, un regard curieux,
À ce récit naïf, passeront dans ses yeux ;
Puis, de nouveau mêlée à la foule qui gronde,
Tout entière au plaisir elle suivra la ronde.

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À MA MÈRE




Je crois l’entendre encor, quand, sa main sur mon bras,
Autour des verts remparts nous allions pas à pas :
« Oui, quand tu pars, mon fils, oui, c’est un vide immense,
Un morne et froid désert où la nuit recommence ;
Ma fidèle maison, le jardin mes amours,
Tout cela n’est plus rien ; et j’en ai pour huit jours,