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MADAME DE LA ROCHE-GUYON.


RÉVOLTE



Moi qui ne redoutais ni luttes ni combats,
Je n’ai plus de courage, il me faut bien le dire :
J’avais un bouclier, il glissa de mon bras,
Et je me suis lassée alors de mon martyre.
Aussi j’ose crier : C’est trop, trop de malheurs ;
J’ose crier : Je veux que se sèchent mes pleurs ;
J’ose crier : Je veux à mon tour être heureuse.
Oui, je veux du bonheur, ne serait-ce qu’un jour,
Ou je veux à la mort inspirer tant d’amour
Qu’elle m’arrachera de ma croix douloureuse.

(La Vie sombre)



L’ÈVE MAUDITE



Serais-je sous les doigts ailés des séraphins
Qu’hélas ! je ne serais qu’une harpe muette,
Et serais-je au milieu des prodiges divins
Que je serais toujours, sous une ombre secrète,
Un fruit flétri tombé dans l’Eden merveilleux
Où l’azur clair pour moi semblerait ténébreux.
Là je ne serais rien, rien qu’une Ève maudite,
Sans soleil à l’aurore et sans lune le soir,
Une Ève inconsolée, une Ève au désespoir
De ne pas être morte étant encor petite !

(La Vie sombre)