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SULLY PRUDHOMME.


LE LEVER DU SOLEIL



Le grand soleil, plongé dans un royal ennui,
Brûle au désert des cieux. Sous les traits qu’en silence
Il disperse et rappelle incessamment à lui,
Le chœur grave et lointain des sphères se balance.

Suspendu dans l’abîme, il n’est ni haut ni bas ;
Il ne prend d’aucun feu le feu qu’il communique ;
Son regard ne s’élève et ne s’abaisse pas ;
Mais l’univers se dore à sa jeunesse antique.

Flamboyant, invisible à force de splendeur,
Il est père des blés, qui sont pères des races,
Mais il ne peuple point son immense rondeur
D’un troupeau de mortels turbulents et voraces.

Parmi les globes noirs qu’il empourpre et conduit
Aux blêmes profondeurs que l’air léger fait bleues,
La terre lui soumet la courbe qu’elle suit,
Et cherche sa caresse à d’innombrables lieues.

Sur son axe qui vibre et tourne, elle offre au jour
Son épaisseur énorme et sa face vivante,
Et les champs et les mers y viennent tour à tour
Se teindre d’une aurore éternelle et mouvante.

Mais les hommes épars n’ont que des pas bornés,
Avec le sol natal ils émergent ou plongent :
Quand les uns du sommeil sortent illuminés,
Les autres dans la nuit s’enfoncent et s’allongent.