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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Et tes maîtres, un vieux pâtre apocalyptique,
Qui pour chasser les loups t’enseignait des secrets,
Ou bien le merle noir, vieux rêveur des forêts,
Qui célèbre encor Pan sur sa flûte rustique...

Tu chantais, tu sifflais pourtant, pauvre petit!
Tu prenais aux lacets des perdreaux et des grives,
Et le soir, au souper, tes blanches incisives
Mordaient dans le pain noir d’un joyeux appétit.

C’est qu’une bonne fée, à travers les bruyères,
T’apportant en cadeau quelque rêve vermeil,
Venait te visiter souvent dans ton sommeil,
Et mettre du sourire au coin de tes paupières.


*
*       *


À seize ans, tu montas au grade de garçon
De ferme, et conduisis un superbe attelage
De ces grands bœufs d’Aubrac dont le fauve pelage
A la couleur du chaume au temps de la moisson.

Alors, quoique ton front fût moins haut que leurs cornes,
Tu les accoutumas au joug, à l’aiguillon,
Et ton poignet nerveux poussa dans le sillon
Le vieil araire en bois par la plaine sans bornes...
Et pourtant tes regards cherchaient avec regret
Tes moutons, maintenant aux mains d’un autre pâtre,
Et tout là-bas, au bout de la lande bleuâtre,
— Sombre sur fond d’azur, — la paisible forêt.