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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

De ce cœur qui sur moi s’appuyait lourd et large.
Je respire, enfin libre, et ne sens plus ma charge.
Mais de peur qu il ne vienne encor sur moi peser
Ce cœur dont j’étais lasse, il me le faut briser,
Le broyer, le pétrir, et le piler à l’aise.
Pourquoi l’épargnerai-je ? A-t-il rien qui me plaise ?
Cœur détesté, prends garde !

LUI
 
                                       Inerte, épouvanté,
J’ai vu sortir le bloc mou de la cavité,
Où, comme un fauve allant et venant dans sa cage,
Il se mouvait, tantôt très doux, tantôt en rage,
Bondissant, trépignant, cabriolant en l’air,
Se cognant aux barreaux de sa prison de chair,
Ou bien tout alangui, calme, comme l’eau verte
Qui s’étale et s’endort de nénuphars couverte,
Selon que le désir, la joie et la douleur,
Ou l’amour en bourgeons, ou l’idéal en fleur,
Le bonheur qui dilate ou l’angoisse qui serre
Avaient fait palpiter le turbulent viscère.
Et je n’ai plus senti qu’un stupide néant
Emplir le trou profond, silencieux, béant.
Et voilà que, charmant et toujours impassible,
De ce cœur arraché l’Etre a fait une cible.

ELLE

Pif, Paf ! voilà pour toi, cœur ridicule et laid !
Souffre bien ! Quand le sang sort d’un cœur qui déplaît,
C’est un régal pour l’œil; la gamme du flux rouge
Chatouille la rétine, et la pupille bouge
Eblouie et troublée ainsi qu’au grand soleil.