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MADAME ALPHONSE DAUDET.


PENSÉE D’HIVER




Le givre étincelle en étoiles blanches
Sur la vitre où luit le matin changeant,
Et brode de fleurs et de folles branches
Un tissu moiré d’opale et d’argent.

Et l’on peut rêver, les fenêtres closes,
Tant le jour paraît lumineux et clair,
Tant ce léger voile a de teintes roses,
Qu’Avril passe et chante aux plaines de l’air.

Mais qu’un seul rayon, près de la gelée,
Répande l’éclat d’un ardent flambeau,
Aussitôt se fond la trame étoilée,
Rien n’en reste plus que des gouttes d’eau,

Qui coulent alors, froide et lente pluie,
Sur la vitre terne, et l’on peut revoir,
Dans le ciel d’hiver, la mélancolie
Errer vaguement sous son crêpe noir.

Ainsi plus d’une âme, entre elle et la vie,
Étend comme un voile aux doux reflets blancs
Le rêve, et se met à songer, ravie,
Que tout resplendit sous ces plis tremblants.

Mais, un jour, subite et vive étincelle,
Passe un clair rayon de réalité,
Et l’illusion se fond et ruisselle,
Couvrant de pleurs froids le cœur attristé.


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