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ÉMILE GOUDEAU.

Des sabots de noyer leur servirent d’entraves,
Et dans le dur sayon de toile leurs appas
Sirénéens étaient comme s’ils n’étaient pas.
On les voyait, parmi les plaines de la Gaule,
Tenant entre leurs doigts une branche de saule,
Mener paître le long des fossés, pataugeant,
Ou l’ovine famille ou la porcine gent.
Climène, dont raffole une tête à couronne
Princière, au temps défunt, servait une matrone :
Vestale de cuisine, avec son regard bleu
Au fond d’un sous-sol gras elle guettait le feu ;
Cinthia, le plus beau faciès de Minerve,
Toute enfant, s’en allait, pauvre mignonne serve,
Percer de son aiguille un tissu Syrien,
Qu’elle achète aujourd’hui pour un peu moins que rien ;
Araminte, une brune, et Lesbie, une blonde,
Portaient jadis son linge à Monsieur Tout-le-Monde ;
Temps funeste ! où Chloé, suppôt de Cupidon,
Pour son père Cerbère a tiré le cordon.

Mais toutes, comme on chasse une bête importune,
Ont oublié le temps de mauvaise fortune,
Et boivent le plaisir à bouche que veux-tu.
Honni soit l’esclavage affreux delà vertu,
Le cachot du devoir, le verrou de la vierge !
Sur l’autel de Vesta laissons fumer le cierge
Et s’éteindre ! Évohé ! d’un bond prodigieux
Elles montent au haut du destin, vers les cieux
Étincelants de la richesse et de la vie,
Où la soif de jouir est enfin assouvie.
Adieu la pauvreté ! les beaux jours sont venus !
Minerve est une sotte, évohé pour Vénus!
Plus de pain bis, de lait tourné, de beurre rance!
Une chaîne, pudeur ! impudeur, délivrance !