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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


La curiosité tenace des petits,
Autour du bois flambant qui faisait peur aux bêtes,
Luisait, et, sous les poils broussailleux de ces têtes,
Des forces grandissaient pour tous les appétits.

Mon pauvre aïeul, errant de repaire en repaire,
Oh ! la faim, la noirceur du ciel, les animaux,
L’effroi, la nuit, l’hiver, l’horreur de tous les maux
T’accablaient ! Ô mon pauvre aïeul, mon pauvre père !

Ivre, les yeux perdus dans les pleurs et le sang,
Ta main ravit, aux flancs affreux de la Nature,
Le roc; tu fis une arme avec cette ossature
Du sol où tu n’avais marché qu’en te blessant.
Et le cerf franchissant, agile, les espaces,

Tu le frappas ; tu pris l’ours ; tu mis aux abois
Le lourd rhinocéros et le renne aux longs bois ;
Et tu devins l’égal des dents les plus rapaces ;

Puis le vainqueur ! Alors, de ces pierres tu fis,
En délassant tes reins des féroces poursuites,
Chez toi, dans l’apaisante odeur des viandes cuites,
Les ornements d’amour pour la femme et les fils.

... Cependant, est-ce vous, haches, flèches aiguës,
Vieux silex, que je vois, bien soignés et bien clos,
Vous, taillés quand l’horreur gelait au creux des os
Notre famille errante, aux époques perdues ?

Étiquetés dans ces vitrines, vous dormez ;
Et les fauves, nos vieux rivaux, au fond des sables,
Hâves, traînent le cri des faims inapaisables,
Comme un écho de nos longs sanglots d’affamés.