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RAOUL LAFAGETTE.


Et si, bouleversant vos masses effarées.
L’orage empoigne et tord vos membres anxieux,
Vous exhalez la plainte immense des marées,
Quand la houle hagarde escalade les cieux.

Mais de la Solitude on sent mieux le génie
Dire : « Mon amour veille, ô mon fils ! je te vois, »
Lorsque vous recueillez votre ample symphonie
Dans un silence fait de la pudeur des voix.

Le dernier des maudits, Nature maternelle,
Est le sot consumé par d’arides tourments,
Qui, ne connaissant pas la douceur de ton aile,
Jamais ne communie avec les éléments.

Oh ! parmi vos muguets laissez fleurir mes rêves,
Bois sacrés ! — trempe-les, source, en ton pur cristal ;
Qu’ils prennent la verdeur enivrante des sèves
Et la divine paix du peuple végétal !

Sanctuaires bénis par la foi primitive,
Vous charmez l’espérance et calmez les regrets ;
L’extase et la douleur cherchent la perspective
Que ferme le rempart verdoyant des forêts.

Bien loin de tout sentier, aux alcôves voilées
De feuillages tremblants, épaissis là pour eux,
Sur le lit nuptial des mousses étoilées
S’étouffent les baisers des couples amoureux.

Maint furtif ruisselet, aux notes argentines,
Susurre son idylle au creux de vos ravins,
Sauvages paradis des frêles églantines,
Où jadis se cachaient Dryades et Sylvains.