Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t3, 1888.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
EUGÈNE VERMERSCH.


Aucun sentier frayé n’y conduisait d’en bas :
Il fallait y grimper dans de hautes fougères,
Des massifs de sapins et des champs de bruyères
Qui dans l’herbe agitaient leurs grands bouquets lilas.

Des lapins gris rayaient des zigzags de leurs courses
Le gazon court jonché par ics pommes de pin,
Et, de quelque côté que l’on prît son chemin,
On faisait fuir des vols d’oiseaux buvant aux sources.

Des quartiers de rochers vieux comme l’univers
Se levaient pêle-mêle et vous barraient la route ;
Une eau d’argent filtrait à leurs pieds goutte à goutte,
Et des tulipes d’or tremblaient à leurs fronts verts.

La montée était dure ; aussi, rêveur sauvage,
J’étais à peu près sûr d’être seul tout ce jour
Sous les hêtres sacrés où, frémissant d’amour,
Un rossignol pleurait son éternel veuvage.

Il tombait de la voûte un demi-jour douteux,
Pareil à la clarté des vieilles basiliques ;
Et, comme des piliers, les arbres symboliques
Dressaient tout droit au ciel leurs fûts religieux.

Le vent dans le lointain, secouant des mélèzes,
M’apportait les soupirs d’un orgue qui s’endort,
Et dans cet air tiédi je crois sentir encor
L’encens des résédas et le parfum des fraises.

Des faisans empourprés passaient discrètement,
Mettant sur le sol nu leurs sveltes ombres bleues,
Et leur col zébré d’or, l’arc de leurs grandes queues
Dans les herbes jetaient des feux de diamant.