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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Si près de nous que leur essaim frôle les planches
De la barque ; je les vois passer, formes blanches.
Ils chantent comme font les oiseaux dans les champs,
Leur langue est inconnue et je comprends leurs chants ;
Ils chantent : « Hosanna ! » Les entendez-vous, Père ?
Ils disent que le monde a fini sa misère,
Et que tout va fleurir ! Père, ils disent encor
Que les hommes vont voir un nouvel âge d’or !
Un Dieu nous le promet, un enfant dont les langes
N’ont ni dessins brodés à Tyr, ni larges franges
Pourpres, et qui vagit dans la paille et le foin…
Quel peut être, pour qu’on l’annonce de si loin,
Cet Enfant-Dieu, né pauvre, en un pays barbare ? »
D’un coup brusque le vieux Thamus tourna la barre.

« Les démons ont dit vrai, mon fils ; depuis le temps
Que Jupiter jaloux foudroya les Titans,
Et depuis que l’Etna mugit, crachant du soufre,
L’homme est abandonné sur terre, l’homme souffre,
Peinant toujours, gelé l’hiver, brûlé l’été,
Sans te vaincre jamais, ô maigre pauvreté !
Qu’il vienne donc ! Qu’il vienne enfin, l’Enfant débile
Et divin, si longtemps promis par la sibylle ;
Qu’il vienne, celui qui, détrônant le hasard,
Doit donner à chacun de nous sa juste part
De pain et de bonheur. Plus de maux, plus de jeûnes,
Les dieux sont bons parfois, mon fils, quand ils sont jeunes !
Aimons le Dieu qui naît. Au fond, que risquons-nous ?
Nous lui présenterons, humblement, à genoux,
L’offrande qui convient à notre humble fortune :
Ce bateau que j’avais, pour l’autel de Neptune,
Taillé dans un morceau de vieille écorce, les
Branches de vif corail prises dans nos filets,
Cette nacre aux reflets d’argent, et, toute fraîche,