Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t4, 1888.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
GEORGES LEYGUES.


Cependant, au milieu des légions épars,
Les Francs frappaient toujours et leur main était lasse,
Mais soudain un long cri s’éleva dans l’espace :
Les Romains écrasés pliaient de toutes parts...

Le jour tombant mit fin à la grande tuerie.
Alors, flairant le sang qui coulait par ruisseaux,
Maigres et hérissés, de voraces oiseaux
Vinrent manger les morts dans la lande fleurie.

Là-bas, sur l’horizon, des chevaux éperdus,
Libres, les crins au vent, fuyaient la triste plaine,
Et la mer caressait de sa profonde haleine
Les blessés qui râlaient, par la douleur tordus.

Cependant les vainqueurs, enivrés par le rêve,
Épuisés de fatigue et les yeux demi-clos,
À côté des vaincus, au bruit lointain des flots,
Dormaient l’épée au flanc, étendus sur la grève.

Le silence se fit. La nuit sombre arriva,
Et sur le champ jonché des débris du carnage,
Impassible et glacée en son nid de nuage,
Dans un brouillard de sang la lune se leva !

Alors le dieu, du haut de son clair promontoire,
Jeta dans l’infini ces paroles : « Ô Francs,
« Vous qui savez braver la mort, vous serez grands,
« Votre nom redouté sera chargé de gloire !

« Tant que sous le ciel bleu le bouleau fleurira,
« Par Skinfax, fils du jour, vous aurez du courage ;
« Si longtemps que la mer battra son noir rivage,
« Votre race indomptable et forte durera ! »


(La Lyre d’airain)