Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t4, 1888.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
AUGUSTE DORCHAIN.

Imposant le respect de leur cœur aveuglé,
Comme un temple debout sur un monde écroulé.

Ô pures visions ! ô troupe magnanime !
C’est Bérénice, Esther, Andromaque et Monime,
C’est Hermione et Phèdre aux tragiques douleurs,
C’est Junie aux doux yeux voilés de tendres pleurs,
Les amantes en deuil, les pâles fiancées,
Toutes, le sein meurtri, toutes au cœur blessées,
Mais toutes, sans se plaindre et sans vouloir guérir,
Fières de leur blessure, heureuses d’en mourir.

Écoutez-les parler : leur voix enchanteresse
Est comme une musique et semble une caresse :
Appels, soupirs, aveux... — et les plus chauds accents
Pour arriver au cœur ne troublent point les sens.
Regardez-les marcher : de leur blancheur vêtues,
Elles passent avec des gestes de statues ;
Elles gardent, ainsi qu’un souvenir du ciel,
Jusque dans la douleur le rythme essentiel
Et meurent en chantant, comme de divins cygnes,
Sans altérer la paix et la splendeur des lignes.
— Car tu nous fais rêver, poète aimé des dieux,
À l’âme harmonieuse un corps harmonieux,
Car, par un admirable et délicat mystère,
Tes vers laissent toujours, comme aux fleurs de la terre,
À chaque fleur de l’âme une suave odeur :
À la beauté la grâce, à l’amour la pudeur.

Depuis, hélas ! combien ont traîné sur la scène
L’équivoque grossière et la laideur obscène !
D’autres, pires encor, peut-être, ont insulté
À toutes nos raisons d’espoir et de fierté,
Sali, — pour dissiper, disent-ils, nos chimères, —