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GEORGES RODENBACH.

Solitaires de qui la jeunesse rêva
Un départ fabuleux vers quelque ville immense,
Dont le songe à présent sur l’eau pâle s’en va,
L’eau pâle qui s’allonge en chemins de silence...
Et vous êtes mes sœurs, âmes des bons reclus
Et novices du ciel chez les Visitandines,
Âmes comme des fleurs et comme des sourdines
Autour de qui vont s’enroulant les angélus
Comme autour des rouets la douceur de la laine !
Et vous aussi, mes sœurs, vous qui n’êtes en peine
Que d’un long chapelet bénit à dépêcher
En un doux béguinage à l’ombre d’un clocher,
Oh ! vous, mes Sœurs — car c’est ce cher nom que l’Église
M’enseigne à vous donner, ô mes sœurs en douceurs,
Dans ce halo de linge où le front s’angélise,
Oh ! vous, qui m’êtes plus que pour d’autres des sœurs
Chastes dans votre robe à plis qui se balance,
Ô vous, mes sœurs en Notre Mère, le Silence !



II


En province, dans la langueur matutinale,
Tinte le carillon, tinte dans la douceur
De l’aube qui regarde avec des yeux de sœur,
Tinte le carillon, — et sa musique pâle
S’effeuille fleur à fleur sur les toits d’alentour,
Et sur les escaliers des pignons noirs s’effeuille
Comme un bouquet de sons mouillés que le vent cueille;
Musique du matin qui tombe de la tour,
Qui tombe de très loin en guirlandes fanées,
Qui tombe de Naguère en invisibles lis,
En pétales si lents, si froids et si pâlis,
Qu’ils semblent s’effeuiller du front mort des Années !


(Du Silence)