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vers la lisière. J’étais résolu à traverser la lande. J’avais laissé mon fusil à son clou, j’avais pris le bâton du pèlerin. Je ne sais pas ce que j’aurais dit aux laboureurs des hameaux. Peut-être je leur aurais seulement serré la main et je serais reparti. Misère, devant moi, flairait des pistes, la queue haute. Un battement apeuré parfois montait des fourrés, le pesant coup d’ailes d’un coq de bruyère ou bien un lapin détalait en martelant le sol. Non, pas aujourd’hui, Misère ! À bas ! La huche là-bas est pleine de pain vermeil qui n’a pas le goût de la mort. C’était une idée qui ne m’était pas encore venue. Il y avait une heure que le soleil était levé. Un arôme subtil de serpolet poivrait l’air. Les mouches lourdement dormaient pendues aux gommes. Une paix fraîche, un silence d’oiseaux s’attardaient ; je commençai à distinguer la lande nue dans le brouillard léger. Maintenant j’avais vraiment conscience d’être devenu un autre homme.

Un rire délicieux s’éperla vers les derniers arbres. Misère, serait-ce la fauvette grise ou