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proies fraîches. Elles sentaient la marjolaine, l’écorce tiède, l’eau fumante d’aurore. Elles avaient l’odeur du matin dans les cheveux. Mes narines follement se tendaient vers cette chair sucrée. Un tremblement secouait mon bâton dans ma main. C’était une vision heureuse et lointaine comme un songe. Je ne voyais pas le visage de celle dont la voix avait un charme d’enfance ; je ne distinguais que la rondeur lisse de son cou et la courbe fine de ses épaules. Elle me resta ainsi dans ce moment cachée comme une destinée. Mais les deux autres avaient le regard hardi et brillant ; leurs seins levaient sous l’étoffe tendue des corsages. Celles-là, je les aurais emportées à la force des poings dans le taillis. Et toutes trois, inconscientes du mâle farouche qui les guettait, continuaient à jaser en riant, dans la paix divine du matin. Leur corps frais baignait dans l’ombre givrée d’aiguail. Un rais de soleil parfois traversait d’une épingle d’or leurs chevelures bleues et rousses.

Une force sauvage me persuada de leur apparaître avec mes yeux forcenés, avec la