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l’enfant aux yeux frais. « Oh ! celle-là, me dit-elle avec dédain, c’est une petite d’au delà de chez nous. Elle aura de la peine à se louer. À peine elle commence à travailler. L’autre année, sa mère a passé : elle n’a plus personne. » — Oh ! songeai-je avec un étrange mouvement de joie, ces petites mains-là ont déjà cousu un suaire et elle est seule dans la vie comme toi dans la forêt. Je la tenais maintenant nue en pensée, ses petits seins dressés dans le tremblement de mes mains. Pourtant, si elle et moi avions été seuls, des choses profondes me seraient montées du cœur. J’aurais couché doucement ma tête dans ses genoux comme un enfant malade.

Toutes trois achevèrent de manger leur provision de fraises ; et puis elles ramassèrent leurs paniers et se levèrent. Ma vie se déchira comme si l’heureuse vision déjà pâlissait dans le matin charmant. Je dis à la plus jeune avec des yeux tendres et rusés : « Écoute, je reviendrai ici chaque matin à la même heure pendant six jours ». Elle caressa le chien ; elle ne parut pas étonnée ; et comme ensemble elles s’é-