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moi, maintenant, stillait aussi une source ; à flots légers ruisselait une petite eau d’éternité. Et à peine je pouvais penser, dans le silence délicieux de mon être. Mes sensations étaient profondes, intérieures, comme le cours des sèves sous l’écorce, comme le glissement de l’onde sous les pierres. L’arbre ne sait pas qu’il vit ; le ruisseau ignore vers quel but il va, et cependant, en croissant et en coulant, ils sont le symbole auquel s’accordent le temps et tout le mystère de la vie.

Je n’avais pas encore connu une telle douceur assoupie de ma force. Ce n’était pas la joie : elle est active, elle tourne en riant la meule heureuse des heures, elle frappe avec des marteaux sur une enclume d’or. En arrivant dans cette forêt, la vie en moi avait l’impétuosité joyeuse d’un torrent. Mais à présent c’était plutôt la trêve de l’attente, soudainement tressaillante, d’une forme nouvelle de l’être. Je ne me sentais pas vivre ; pourtant, j’étais plus près du sens de ma vie que je ne le fus aux jours d’orgueil. Vers le soir, j’abattais