Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/127

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d’âge qui régnait entre nous m’inspirait plutôt de la réserve vis-a-vis de cet aîné déjà éclatant. Mais sa cordialité bientôt me mit à l’aise : il avait un charme d’accueil auquel personne ne résistait. Nous parlâmes longuement de De Coster : je n’avais lu que fragmentairement la Légende d’Ulenspiegel. Spontanément il m’offrit l’unique exemplaire qu’il en possédait et qui est celui où, en relisant les merveilleuses pages de vie et d’humanité écrites par le grand écrivain, je crois revivre à la fois un vieux compagnonnage d’art et le grand cœur héroïque de la Flandre.

Qu’il me soit permis de m’attarder un instant sur ce souvenir puisqu’il m’est ainsi donné de rapprocher une suprême fois leurs noms et leurs esprits à une date où la mort ne les avait point encore matériellement séparés. Ce fut à peu près vers le même temps que je les approchai l’un et l’autre. Charles de Coster avait encore sa beauté ardente et mélancolique, bien que la maladie l’eût touché déjà. C’était un causeur tout d’élan et de trouvailles, avec un cœur candide, émerveillé, spontané et qui se livrait dès le premier abord. Il avait des habitudes simples, fières et pauvres ; sa culture était vaste ; il avait fait du professorat, du journalisme, du théâtre ; un emploi qui l’institua paléographe l’adjoignit aux Archives du royaume. Je le revois encore avec son joli air de cavalier à la Van Dyck, mais un peu pâle et tiré déjà sous sa moustache effilée, me disant entre deux quintes de toux :

— Je ne puis pas placer ma copie et j’ai le travail difficile. Si je n’avais pas mon cours à l’École de guerre, je ne saurais comment vivre.

C’était ce cours en effet, qui lui assurait le pain : il avait pourtant écrit l’un des plus beaux livres des littératures vivantes et comme dans un sarcophage, il gavait couché la vieille âme des Flandres. Sa vie avait été toute d’art, de songe, de piété filiale, d’abnégation et d’amour. Et voilà, une après-midi de