Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’oreille une proposition : on tâcherait de perdre la Philomène, ils iraient coucher ensemble à l’hôtel. Elle ne se fâcha pas, riant au contraire de la drôlerie de son idée. Ce M. Ginginet ! un joli capon ! C’était donc pour ça qu’il les avait invitées ? Mais il insistait, des flammes dans la prunelle, et elle finit par lui déclarer que ça n’était pas possible, qu’elle était grosse, etc.

Brusquement, la Simonard rappela l’heure : on n’avait plus que quinze minutes pour gagner le dernier train. Clarinette affirma que c’était embêtant, elle eût voulu entendre encore une cocasserie ou deux ; mais la Bique s’étant levée, elle fut obligée de la suivre, et tous trois, à grandes enjambées, se dirigèrent vers la gare, Ginginet reparlant toujours à Clarinette de sa proposition, très bas, pour ne pas être entendu. Hissée sur le marchepied, elle le congédia avec une promesse vague.

Le train les emporta, toutes secouées encore du plaisir qu’elles avaient eu, des bouts de refrain leur chantant dans la mémoire. Au débarcadère, elles trouvèrent Huriaux qui les attendait, très pâle.

Comme il s’enquérait du motif qui les avait attardées, elle se fâcha.

— Fiche-nous donc la paix ! Faudrait todis to t’dire !

Il hocha la tête :

— C’est vrai, j’suis qu’une biesse aussi ! Mais quand j’ai vu le brouillard, ça m’a pris dans le ventre, et jé m’suis dit que la rivière, é coule par la ville, et v’là, j’ai eu peur comm’ eun éfant. Puis, l’chemin de fer, on n’sait jamais.

Il n’osa pas lui confesser que de grosses larmes lui avaient soudainement jailli des yeux à la pensée qu’il aurait pu la perdre, et qu’il était demeuré là-bas une grande demi-heure, reployé sur lui-même, dans le silence de la maison, étonné qu’il l’aimât avec une telle force.