Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/202

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celui-ci se rendit compte du danger, vit le chauffeur perdu si seulement la poutrelle bougeait d’un centimètre.

— Confiance, mon brave Simonard ! Et tenez ferme. Nous sommes là !

Puis se tournant vers les compagnons, mornes, bouche bée et bras ballants :

— Vous, les amis, du sang-froid. Pas un mouvement inutile. Et que personne ne bouge, hormis ceux que je désignerai.

Il en fit sortir huit des rangs, leur communiqua son plan. On devait d’abord, des deux côtés de l’éboulement, amonceler des matériaux jusqu’au niveau de la poutrelle, de manière à former deux appuis solidement calés ; sur ces appuis viendraient ensuite se fixer des traverses qu’on glisserait dans la masse surplombante : ces traverses fortement assurées, on procéderait alors à l’enlèvement des matériaux et on déferait pièce à pièce le tas.

Huriaux, Colonval, Bietlot, Gaudot et les quatre autres ouvriers choisis se mirent aussitôt a l’œuvre, lis commencèrent par superposer des piles de gueuses à l’élévation voulue, introduisirent par les interstices de l’éboulement neuf ringards, étayèrent ceux-ci parallèlement sur les piles.

— Sauvé ! cria Jamioul qui avait assisté à ces préliminaires de la délivrance avec un atroce battement de cœur.

Et derrière lui, un frémissement passa dans le groupe des ouvriers regardant, eux aussi, l’œil dilaté, muet, torturés par l’attente.

Le plus difficile de la besogne était fait, on n’avait plus à redouter de danger immédiat. En supposant que cette montagne de débris chavirât, elle s’abattrait sur les ringards, assez puissants pour soutenir le double du faix. Par bonheur, cette éventualité ne se réalisa pas ; tout le monde s’y mettant à la fois, en quelques instants la place fut déblayée ; on enleva alors les ringards ; et la longue carcasse de Simonard émergea de dessous le pan de maçonnerie qui le murait vivant. Vivant, oui, mais une côte défoncée, l’échine rompue, estropié probablement pour le reste de ses jours. Il n’avait pas perdu la boussole, d’ailleurs, serra énergiquement la main à Jamioul, à Huriaux, à tous les camarades, et aussitôt après demanda