Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/22

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dissant sur les taques en tôle succéda à l’accalmie d’un instant, dans l’embrasement ravivé des quarante fours, ronflant comme autant de bombardes, parmi les éclairs et les fumées d’une atmosphère soudainement épaissie où des foules fraîches recommençaient avec des forces retrempées l’effrayant labeur de la journée.

Huriaux vira droit sur l’infirmerie : la pensée du vieux le tourmentait ; c’était comme un peu de sa Clarinette qui se mourait là. Justement, devant la porte, une dizaine d’ouvriers traînaient, guettant le passage de quelqu’un qui pourrait les renseigner sur l’état du blessé. Il s’informa ; mais tous agitaient les épaules, muets. L’un des hommes, haussé sur la pointe des pieds, chercha alors à regarder à travers les carreaux dépolis ; et comme il déclarait ne rien voir, les autres un à un décanillèrent. Huriaux, resté le dernier, s’attarda sur une poutrelle à renouer les cordons de ses souliers, pour se donner du temps. Puis une porte battit. Psitt, psitt, fit une voix derrière lui. C’était Clarinette que les sœurs de l’infirmerie venaient de renvoyer, au moment de l’arrivée de Malardié, le médecin des établissements, et qui, les yeux secs, tranquillement lui annonça qu’il faudrait sans doute amputer son père.

Huriaux eut un haut-le-corps, tout à coup pâle à l’idée de cette jambe coupée, avec l’horreur instinctive des hommes voués aux besognes corporelles pour l’ablation d’un membre.

— Ouais, p’t’êt’ ben, répétait Clarinette, distraite, la pensée et les regards ailleurs.

Il insista, demanda des détails, mais elle s’impatienta :

— j’sais-ti, mi ? j’seus nin l’rebouteu. J’te dis ce qu’on m’a dit. J’sais ren d’plus.

Ils firent quelques pas du côté des grilles. Cette misère d’un tronc branché ne le quittait pas ; et à mi-voix, comme se parlant à lui-même, il réfléchissait :

— En v’là une affaire ! J’en suis stomaqué !

— Ben, et mi donc ! v’la qu’i m’faudra vivre todis tote seule. C’est pas qu’i m’faisait la vie gaie, le vieux, i m’talochait que c’était une bénédiction. M’revenger, j’povais nin. I m’aurait tapé d’sus cor plus fort.