Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/220

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ouvriers de Happe-Chair se massaient parmi la multitude des amis et des parents, à la droite de la travée. Mme Poncelet, Mme Malardié, Mme Jamioul, la plupart des dames du Culot occupaient l’autre côté, mêlées aux mères, aux filles, aux sœurs, à la cohue des afflictions féminines. Une consternation morne, sans larmes, les yeux errants et vides, régnait chez les hommes, presque tous hébétés par leur vie de misère et de travail ; quelques-uns seulement laissaient paraître sur leurs durs visages froncés comme une colère contre cette fatalité d’une mort qui toujours les guettait, couarde et ténébreuse. Et d’abord, un peu de la résignation passive des pères et des garçons sembla clouer au silence et à l’immobilité les rangs pressés des femmes, agenouillées, la tête dans les mains, sous leurs châles noirs qui leur couvraient le visage. Mais quand les notes hautes de l’orgue, avec leur chevrotement de voix humaines, se mirent à vibrer pendant les pauses des chantres, remuant dans ces cœurs un instant assoupis les cordes de la souffrance, une oscillation courut parmi les silhouettes prostrées ; les épaules furent secouées de mouvements qui eurent l’air de s’étendre de proche en proche ; des houles de sanglots et de gémissements montèrent du fond des détresses réveillées. La mère du pauvre Culisse qu’on avait vainement dissuadée de pénétrer dans l’église, fut reprise par une de ses effrayantes crises qui lui entre-choquaient tous les membres du corps ; la Billette vagissait un peu plus loin avec des pleurs de petit enfant ; une fillette de douze ans, dont le frère gisait là dans la bière, poussa un grand cri, puis s’abattit dans les bras de ses sœurs ; et la désolation, l’agitation nerveuse gagnant comme une traînée, bientôt les dames elles-mêmes, les indifférentes bourgeoises venues là par convenance, eurent dans leurs mouchoirs des hoquets étouffés.

L’offrande fit un instant diversion. Après les hommes, les femmes lentement processionnèrent devant les quinze cercueils, dans les bouffées de fade pestilence montées par moments des planches à travers l’odeur des cires chaudes ; et le glissement des pieds le long des dalles, le bruit des chaises bousculées, les poussées sur place de la foule mirent une sourdine à cette douleur qui ne s’apaisait que pour reprendre aussitôt après. À la sortie, toutefois, quand les