Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/68

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— T’as quelque chose qui t’remue la cervelle. C’est-y que tu ne m’crois plus brave pour toi !

Elle eut peur de le perdre avec une froideur trop constante, l’amignarda sans toutefois lui rendre les privautés anciennes, et quand il l’accolait d’un peu près, touché aux moelles par un bout de sa chair qui passait à dessein sous son jupon, ou irrité par les pointes de sa gorge qu’elle lui frottait contre le bras, elle se reculait brusquement, lui jetait un : Bas les pattes ! qui le déroutait. Un soir, agacé, il jura un bon coup, déclara qu’il en avait assez de ses manigances, et la planta dans le chemin, en pleine bruyère. Elle le laissa partir, sûre qu’il reviendrait. Mais il la bouda pendant trois jours. Alors elle craignit d’avoir été trop loin, redouta la rivalité des tapées de guenuches qui n’auraient pas demandé mieux que de lui manger son homme dans la main, et elle lui rendit un peu de sa personne, pour le tenir en haleine.

Huriaux, comme tous les ouvriers du laminoir, avait sa semaine de travail de nuit et sa semaine de travail de jour, alternées. Pendant le temps de la pause de nuit, le gars se couchant au plein soleil et ne s’éveillant quasi qu’à la lune, on se voyait moins, par courtes échappées. Mais on se dédommageait les jours suivants. Au coup de cloche des six heures, chacun tirait de son côté ; elle rentrait souper chez les Lerminia qui l’hébergeaient toujours moyennant son franc de salaire ; lui, prenait le chemin de son logis, une maison paisselée de vignes qu’il habitait tout seul depuis la mort de sa mère, là-bas, à l’orée d’un hameau, dans un abandon de friche et qu’on appelait le Saut-du-Leu. Il en avait pour dix minutes d’arpentées sur le versant qui faisait face aux établissements, coupait droit à travers le plateau, et au bout de dix autres minutes pénétrait dans son petit champ, une vingtaine de verges qu’il louait à un voisin, ne s’étant gardé, lui, qu’un coin pour y planter ses canadas. C’était son patrimoine, une petite joie de propriétaire dans sa vie de travail ; une fois l’an, il badigeonnait lui-même les murs, et tous les samedis passait à l’eau ses trois chambres, avec la régularité et le goût de propreté d’une ménagère.

Rentré chez lui, il faisait à la hâte son fricot, une tranche de lard à la poêle avec une platelée de pommes de terre, le tout arrosé d’un