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l’hallali

âpre, violente et sombre. Celle de Barbe, au contraire, était mielleuse et plaintive : elle passait des heures en prière, coupant de soupirs et de gémissements ses pater-noster, intercédant auprès de Notre-Dame la Vierge, aussi bien pour les périls qui menacent les âmes que pour le rôt sur le point de brûler, un écheveau qui ne se dévide pas ou la poule noire qui se perche sur la crête d’un mur. Sa superstition était dolente et puérile, attentive au risque du sel versé et des couteaux en croix. Elle croyait que l’air, la pluie, le couchant et l’ombre sont remplis d’esprits qu’il faut conjurer par d’actives et vigilantes déprécations. Près d’elle, la ferveur de Sybille, impérieuse, sèche et renfermée, vivait au secret de sa vie profonde, autrefois blessée d’une peine que le monde avait ignorée. Quant à leur cadette, Jaja, c’était une sauvageonne qui jamais n’était parvenue à apprendre le catéchisme. Michel, lui, intelligent et doux, d’une belle écriture, écrivait aux deux encres, la rouge et la bleue, des prières copiées dans le livre d’heures et que sa mère fixait au mur avec des épingles.

Le dimanche, comme avaient fait les aïeux avant eux, on se rendait à l’église. Jumasse attelait Bayard à la berline où montaient Barbe et Sybille. Généralement, on laissait Jaja seule au château, gardant les oies, les deux moutons ou