Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/297

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que fois que quelqu’un ouvrait ou fermait la porte de la rue, disait :

— Peut-on s’imaginer des coureuses pareilles ! Pour Dieu, qu’est-ce qu’elles vont faire à la messe comme ça tous les matins ? Ma mère, Stéphane, et la vôtre, qui étaient de saintes femmes, allaient une fois par semaine à la messe et ne croyaient pas plus mal faire. Mais ces vieux souillons ! Avez-vous senti l’odeur du café dans l’escalier, Stéphane ? Je crois, ma parole d’honneur, qu’elles n’ont pas fait leur café ce matin pour courir plus vite à l’église.

Ma tante Michel, qui avait alors soixante ans bien sonnés, était une femme de tête : elle avait lu Voltaire, avec un peu de peur d’entrer en enfer pour l’avoir lu. Elle pratiquait la religion, mais sans excès, et quelquefois allait à la messe, à la condition toutefois qu’il ne plût ni ne gelât ni ne neigeât et qu’il fît à peu près le temps qu’elle aurait choisi pour se promener au boulevard.

Certainement elle y allait, habillée à sa manière, car elle avait une toilette comme elle avait une religion, de sa façon, et qu’elle portait fort bien, avec beaucoup de plumes, de bouffettes, de dentelles, et même un petit cabas sous le bras, comme au temps où les petits cabas s’appelaient des ridicules.

Lorsqu’elle rentrait, il y avait toujours dans ce petit cabas, qui était de velours guilloché d’argent et perlé de jais, un mouchoir de batiste, un flacon d’eau de Cologne, un cornet de papier blanc taché par des pâtisseries et parfois un livre de messe. Je dis parfois, car elle l’oubliait souvent dans le coin de la cheminée. S’en apercevait-elle à l’église, elle disait à sa voisine ou à son voisin : « Suis-je bête ? J’ai laissé sur la cheminée mon livre de messe, » et elle s’en allait chez le pâtissier acheter des bonbons secs, des fruits confits,