Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/39

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je dis au patron : « Mynheer Shippe, je suis plus content de vos cinq francs que si j’avais une couronne sur la tête. » Puis je sortis sans rien dire à ma chère Nelle, je passai la planche et j’allai dans le village acheter de la crème, des œufs, de la farine, des pommes et du café. Qui fut bien contente quand je rentrai avec toutes ces bonnes choses et que je les mis sur la table, l’une à côté de l’autre, tandis que le feu brûlait gaîment dans le poêle ? Qui fut contente ? Dites-le un peu vous-même, Nelle.

— Ah ! Tobias ! nous sommes restés, ce soir-là, jusqu’à dix heures la main dans la main, comme les soirs où nous nous asseyions ensemble sur le bord de l’Escaut, au clair de la lune, avant notre mariage. Mais nous avons fait, cette fois-là, bien autre chose encore. Qu’est-ce que nous avons fait ? Dites-le un peu, Tobias.

— Oh ! oh ! de belles crêpes dorées aux pommes ; j’en ai encore l’odeur dans le nez. Et j’ai voulu connaître de vous la manière de les faire sauter, mais j’en ai fait sauter deux dans le feu, et la troisième est tombée dans la gueule du chat. Oui, oui, ma Nelle, je m’en souviens.

— Eh bien ! mon homme, il nous faut faire encore de belles crêpes aux pommes en mémoire de cette bonne soirée, et j’apporte des copeaux pour allumer le feu. Et un jour, comme nous-mêmes à présent, Riekje et Dolf se souviendront de la bonne fête de saint Nicolas.

Ainsi parlaient, dans le Guldenvisch, le batelier Tobias Jeffers et sa femme Nelle.

Le Guldenvisch, baptisé de ce nom à cause du joli poisson d’or qui brillait à l’arrière et à l’avant de sa carène, était le meilleur des bateaux de M. Hendrik Shippe et il l’avait confié à Tobias Jeffers, le meilleur de ses bate-