Page:Lemoyne - Poésies - 1873.djvu/166

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« Trente ans ! — se dit la femme en achevant le compte
Sur ses doigts effilés. — J’ai trente ans révolus…
Les plus riches feuillets de mon livre sont lus…
Comment finira-t-il ?… Est-ce un rêve ?… est-ce un conte ?

« Le plus beau de la vie est au commencement,
Répète à l’unisson la parole des sages ;
Je cherche dans la mienne où sont les beaux passages :
J’ai vécu… je ne sais ni pourquoi ni comment.

« Quand je verrais encor les cent ans qui vont suivre,
Si les soleils futurs, comme les vieux soleils,
Me ramènent des jours si constamment pareils,
Je finirai mon siècle en oubliant de vivre.

« À Paris, le théâtre et la danse l’hiver ;
Et toujours en été la même promenade :
J’ai pris plus de vingt fois les eaux d’Ems et de Bade,
Et fatigué ma vue à regarder la mer.

« Je sais de chaque église et la messe et le prône ;
Et, comme un laboureur son grain dans les sillons,
Comme un soleil de juin ses opulents rayons,
Les deux mains pleines d’or, j’ai fait pleuvoir l’aumône.