Page:Lemoyne - Poésies - 1873.djvu/222

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Le caprice du temps l’a si peu chiffonnée
Qu’en donnant au miroir son coup d’œil du matin,
De sa longue jeunesse elle semble étonnée :
Pas une dent perdue, et pas un cheveu teint.

Elle a pourtant vécu jour et nuit dans la joie ;
Elle a reçu les rois du monde officiel ;
Plus d’un saint personnage, en douillette de soie,
A pris son escalier pour le chemin du ciel.

Sa marraine était bien la Fantaisie ailée
Qui porte un cœur léger, — cœur tout peuplé d’oublis.
Pour noyer les serments de sa bouche emperlée,
Elle a bu les flots d’or du Grave et du Chablis.

En gaspillant sa vie, et se croyant heureuse,
Elle a ri quarante ans… Elle pleure à son tour.
C’est la première fois qu’on la dit amoureuse…
Elle aime et n’ose pas laisser voir son amour ;

Car son amour ressemble aux fleurs de cimetière :
Riches sont les parfums, et riches les couleurs,
Mais la foule des morts gît à cinq pieds sous terre,
Et souvent on répugne à respirer ces fleurs.