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la triomphatrice

et par l’intérêt. Oh ! c’est un cruel amour que le nôtre. Depuis que vous êtes mienne, je ne connais plus le repos. J’ai dix ans de plus que vous, Claude, et comme les amoureuses je ne dois plus vieillir. Je dois me garder intact, me garder entier pour la lutte : cerveau, travail et succès. Ah ! vous vengez les femmes, et nous connaîtrons la beauté qui s’efface et l’amour que nous ne valons plus.

Claude.

Quel malade vous faites…

Sorrèze.

Un lucide.

Claude.

Il vous fallait aimer une petite femme, la « vraie femme », l’héroïne chère à vos confrères.

Sorrèze.

Avant, soit, mais après vous… Claude, vous avez détruit nos amours de jadis… êtes-vous sûre de ce que vous donnez en échange ?

Claude, passionnée.

Si ces amours de jadis faisaient encore vraiment battre votre cœur, nous serions restées celles de jadis… et c’est à nous de nous plaindre, Michel, c’est votre exigeant désir qui a fait de nous les femmes que nous sommes, c’est votre lassitude, votre mépris des esclaves, votre ennui même de l’épouse séculaire. Allez, ce seront toujours les plus aimées qui vivront et qui survivront, et « la femme de demain » sera la plus aimée de demain.

Sorrèze.

Eh ! bien, laissons les autres se sauver eux-mêmes. J’aime mieux croire que vous êtes un bel accident, hasardeux, un peu terrible, et que, pour mon malheur, j’aime tant à aimer.