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la triomphatrice

Claude.

Pardon ! quand j’entendais toujours ta voix, et quand j’étais occupée avec d’autres, je t’écoutais et cela me réchauffait le cœur.

Denise, incrédule.

Oh ! maman, quand vous êtes avec les autres, vous ne pensez pas à moi !

Claude, émue.

Denise, est-ce que je ne t’ai jamais négligée ? Est-ce que tu as jamais souffert d’avoir une mère écrivain ?

Denise.

Oh ! non, non, je ne dis pas cela. Je sais bien que vous m’aimez…

Claude.

J’étais à la maison plus que les mamans des autres petites filles, et peut-être, parce que j’étais sérieuse et attentive, je jouissais mieux de la mienne que les mamans étourdies… Est-ce que tu n’étais pas souvent, bien souvent, dans la pièce où je travaillais ? Tu jouais sur le tapis avec les chiens et je ne me fâchais jamais, on pouvait rire et crier, et même gronder et aboyer, si je mettais à la porte, c’était toujours en riant.

Denise.

Vous étiez si patiente, maman.

Claude.

Je ne t’ai jamais quittée… je ne parle pas de tes petites maladies, ce n’est pas rare de soigner sa fille… Pourtant, nous, femmes qui travaillons, nous sommes mises en telle suspicion… Enfin, ma chérie, jamais tu n’as pu souffrir d’avoir une mère célèbre. Si j’avais été comme les autres, je t’aurais moins aimée… Quand on vit beaucoup avec son cœur, il se développe, comme un bon muscle qui travaille… Et puis, nous méditons comme les moines et nous les remplaçons un peu. Comme eux nous savons que tout passe, que les êtres ne nous sont que prêtés. (Elle serre sa fille avec un frisson.)