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qu’elle décrit ses paysages sensibles. Ici encore l’abondance des sensations est surprenante, que faut-il admirer du sensitif appareil humain, ou de l’infatigable attention d’une volonté ?

Les mille douces voix de la terre ont réellement trouvé leur chemin vers moi, le petit bruissement des touffes de gazon, le froissement soyeux des feuilles, le bourdonnement des insectes, le ronflement d’une abeille dans une fleur que j’ai cueillie, le battement d’ailes d’un oiseau après son bain et la fine vibration sur les galets de l’eau qui se ride et court.

Les ayant une fois senties, ces voix aimées bourdonnent, murmurent, frissonnent et vibrent pour toujours dans ma pensée, une part d’heureux souvenirs qui ne meurent point.

Entre mes expériences et celles des autres, il n’y a pas un gouffre de muet espace que je ne puisse franchir. Car j’ai des contacts infiniment variés et instructifs avec le monde, avec la vie, avec l’atmosphère dont la radiante activité nous enserre tous. La pénétrante énergie de l’air qui enferme tout est chaude et enivrante. Les ondes de chaleur et les ondes de son jouent sur mon visage dans une variété et des combinaisons infinies, de telle sorte que je puis soupçonner ce que peuvent être les myriades de sons que mes oreilles insensibles n’ont pas entendus.

Parlant alors des poètes aveugles, tels que Mme  Bertha Galeron et M. Clarence Hawkes, miss Keller explique :

Notre idée du ciel est une accumulation d’aperçus du toucher, d’allusions littéraires et d’observations d’autrui, avec un mélange émotionnel du tout. Mon visage ne sent qu’une minime partie de l’atmosphère, mais je vais à travers l’espace continu et je sens l’air sur chaque point, à chaque instant. On m’a parlé des distances de la terre au soleil, aux autres planètes, aux étoiles fixes. Je multiplie mille fois les plus grandes hauteur et largeur que mon toucher peut atteindre, et j’acquiers ainsi un sentiment profond de l’immensité du ciel.

Faites que je me meuve constamment sur l’eau, toujours de l’eau, rien que de l’eau, et vous me donnez la solitude, l’étendue de l’Océan qui remplit l’œil. J’ai été en mer sur un petit bateau à voile, pendant que la marée montante le poussait vers le rivage. Ne puis-je comprendre la figure poétique : « Le vert du printemps submerge la terre comme une marée » ? J’ai senti la flamme d’une bougie soufflée et agitée dans un courant d’air. Ne puis-je alors dire : « Des myriades de mouches de feu volent deci et delà dans l’herbe humide de rosée, comme des lumignons agités » ?