Page:Leneru - Le Cas de Miss Helen Keller.pdf/26

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fenêtre qu’on ouvre ou qu’on ferme, le battement d’une porte. Après avoir fréquemment senti — smell — la pluie et le désagrément de l’humidité, j’agissais comme les autres autour de moi, je courais fermer la fenêtre. Mais ce n’était de la pensée dans aucun sens. C’était le même genre d’association qui fait que les animaux s’abritent de la pluie. Par ce même instinct de « singer » les autres, je pliais les vêtements qui revenaient de la buanderie, et mettais les miens de côté, je donnais à manger aux dindons, je cousais des yeux de perle à la figure de ma poupée, et faisais beaucoup d’autres choses dont j’ai un souvenir tactuel. Quand j’avais envie d’une chose que j’aimais — de la crème glacée, par exemple — j’avais un goût délicieux sur ma langue (par parenthèse, je ne l’ai plus jamais maintenant) et, dans la main, je sentais le mouvement de l’appareil à glace. Je faisais le geste et ma mère savait que je voulais de la crème glacée. Je pensais et désirais dans mes doigts. Si j’avais fait un homme, j’aurais certainement mis le cerveau et l’âme au bout de ses doigts. De semblables réminiscences, je conclus que c’est par l’éveil des deux facultés, liberté de volonté ou choix, et rationalité, ou pouvoir de penser par une chose à une autre, qu’il est rendu possible d’arriver à l’être, d’abord comme enfant, ensuite comme homme.

Cette impossibilité d’être de la pensée dans un cerveau capable de tous les développements, avec un minimum, il est vrai, d’impressions sensibles, mais encore un minimum très suffisant, si l’on songe au contenu presque prodigieux de toute sensation, cette impossibilité de la conscience sans la bizarre petite algèbre des mots, est à faire rêver les spiritualistes, et, en toute impartialité, les sensualistes. Car miss Keller continue :

Puisque je n’avais aucun pouvoir de pensée, je ne comparais pas un état mental avec un autre. Ainsi je ne fus consciente d’aucun changement ou mouvement se passant dans mon cerveau quand mon professeur commença à m’instruire. Je ressentis simplement une satisfaction intense en obtenant plus facilement ce que je voulais par les mouvements des doigts qu’elle m’enseigna. Je ne pensais qu’aux objets, et seulement aux objets dont j’avais envie. C’était le mouvement du congélateur sur une plus grande échelle. Quand j’appris la signification de « je » et « moi » et découvris que j’étais quelque chose, je commençai à penser. Alors seulement la conscience exista pour moi. Ainsi ce ne fut pas le sens du toucher qui m’apporta la connaissance, ce fut l’éveil de mon âme qui, d’abord, rendit à mes sens leur valeur, leur connaissance des objets, noms,