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Page:Leo - Aline-Ali.djvu/38

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cence marquée interdit toute demande d’explication. Elle détestait sur la foi d’autrui M. de Chabreuil, sans bien savoir de quoi il était coupable. Mais, restée près de sa sœur comme consolatrice, comme aide, ce rôle lui imposait d’être forte, et par conséquent d’étouffer toute susceptibilité personnelle, dans l’espoir d’être utile. Elle n’hésita plus :

« Parle, ma sœur, dit-elle.

— Ah ! dit Suzanne en serrant convulsivement les mains de la jeune fille et en la baisant au front, je te sais courageuse, et c’est pourquoi l’idée m’est venue de te faire cette révélation, et même de te confier un secret terrible… qui vieillira ce jeune front. Mais quand je reproche si amèrement à ceux qui m’ont élevée de m’avoir jetée, un bandeau sur les yeux, dans le gouffre de la vie, je ne veux pas me rendre complice de ce même crime envers toi. Intelligente, sensible, pure, la destinée en ce monde est de souffrir. J’avance l’épreuve pour la rendre moins amère, voilà tout. Maintenant, écoute :

« J’avais dix-huit ans à peine quand j’épousai M. de Chabreuil. Je savais la musique, l’histoire superficielle du passé, fort peu de la nature, et rien de la vie. J’acceptai le mariage, parce que l’opinion l’impose ; M. de Chabreuil, parce que mon père me le présenta. J’étais une enfant, et toute mon éducation avait eu pour but de me laisser telle. Mineure, incapable de disposer de mes biens, on me fit disposer de moi-même et de ma vie tout entière. La loi qui nous régit a de ces vides de sens moral, effrayants par leur profondeur.

L’habitude, toutefois, c’est-à-dire l’irréflexion,