Page:Leo - L Institutrice.djvu/53

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par la main, la fit asseoir, et Sidonie n’osa refuser de suivre sa compagne. Le bateau glissa sur l’eau profonde. Léontine jasait toujours, et Sidonie eût voulu ne pas entendre sa voix, qui lui gâtait le grand silence ; elle se sentait le cœur plein, au point que pleurer lui eût semblé délicieux ; mais il eût fallu que Léontine ne fut pas là. En levant les yeux, elle vit Ernest, qui la regardait ; il avait un sourire aux lèvres, mais ses yeux étaient rêveurs et son regard d’une douceur extrême. Debout dans le bateau entre elle et la rive, il se détachait sur les arbres illuminés du soleil couchant. Elle baissa les yeux et ressentit une grande émotion. Jusque-là, elle avait entendu dire qu’Ernest était beau garçon, mais elle venait seulement de le trouver beau suivant elle-même. À partir de cet instant, elle se replia sur son trouble et n’entendit plus ce qui se disait près d’elle, jusqu’au choc de la barque touchant le bord.

Elle eut désormais dans sa vie une préoccupation qui l’agita d’émotions diverses, mais soigneusement cachées. À peine se les avouait-elle tout au fond du cœur. Les jours où elle rencontrait Ernest furent seuls des jours lumineux, vivants ; les autres ne comptaient que comme intervalles à franchir et ne lui servaient qu’à commenter en ses heures de solitude l’air, les gestes et les paroles du jeune homme pendant leurs entrevues. L’admirait-elle beaucoup ? Non, peut-être. Elle savait bien qu’il était un peu lourd dans ses manières, un peu fat ; mais ces défauts, parce qu’ils étaient les siens, ne lui déplaisaient pas ; elle n’éprouvait pas le besoin de les lui ôter ; elle se disait de lui, le cœur ému, qu’il