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Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/109

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nir ne fait guère que broder la trame fournie par le passé. La loi des mariages bourgeois, c’est l’égalité des fortunes ; elle s’en rappelait mille exemples, mille révélations. L’estime seule, prudente et froide, ne fait pas de mariages pauvres. L’amour… Elle haussa les épaules au souvenir des romans de sa mère. Pouvait-elle compter sur un amant romanesque, tombé des nues à Chavagny ? Non ; son jugement et sa modestie la préservaient de tels rêves. Elle comprenait que le roman est moins une peinture qu’une protestation. Paméla n’avait été mariée que parce que Lucie ne le serait point. Et Clarisse, d’ailleurs, n’était-elle pas là comme exemple ? Et Mlle Boc ? et tant d’autres ? Puis elle se rappela quel air hypocrite avait eu la Touron en supposant son mariage, et elle se dit : Mon arrêt est déjà prononcé dans l’esprit public.

Cependant quelque chose protestait en elle contre son chagrin même. Elle se disait : Si les hommes font du mariage une affaire d’argent et d’ambition, ce que je regrette si vivement a bien peu de prix, car le mariage sans affection sincère, n’est-ce pas encore la solitude ? Mais elle sentait confusément, en dehors de cette logique sévère, que dans le cercle des convenances extérieures pouvaient naître et se développer, même provoqués par elles, des attachements sérieux. On voit d’heureux ménages parmi les riches. L’amour, d’ailleurs, n’est qu’une moitié du mariage ; l’autre moitié c’est la maternité.

Une femme qui portait un petit enfant dans ses bras venait dans le chemin. C’était la Mourillon. Amie de la Bernuchon, elle revenait de la voir, et donna des nouvelles à Lucie.

— Héla ! mam’zelle, elle est comme une image dans son lit, froide comme la glace, les yeux fermés. Pour moi, m’est avis qu’elle est morte. Héla ! mon Dieu ! ce que c’est que de nous !