Aller au contenu

Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces regards pleins d’une adoration profonde. Oui, ce pauvre garçon l’aimait d’amour.

S’il eût fallu rendre compte de ses sentiments à cette découverte, Lucie eût été fort embarrassée, très-confuse peut-être. — Mais quel est celui de nos sentiments où n’entre pas d’alliage ? Donc, elle n’acceptait pas, certes, cet amour ; elle en était même presque indignée ; et cependant… pouvait-elle en vouloir à ce pauvre Michel, si ardent et si sincère ? Mais comment osait-il ? car enfin c’était de l’outrecuidance !… Non ! en face du regard triste et tendre de Michel, Lucie n’en crut rien.

Ce qu’il faut dire, car elle ne se l’était pas avoué, c’est qu’elle éprouvait une jouissance secrète et profonde. L’amour, dont elle entendait parler depuis son enfance, et qu’elle se plaignait de ne pas connaître, il était là, près d’elle ! Elle en était l’objet ! Enfin, elle pouvait la voir et la toucher, cette chose inconnue que tout signale à la jeune fille comme son but et sa destinée ! Elle sentait bien la présence de la divinité, et n’y touchait qu’en tremblant. Mais elle était aussi fille d’Ève. Pauvre Michel !

Jamais elle n’avait été si légère. Ses poses étaient si charmantes, ses ronds de bras si gracieux, ses pirouettes si éblouissantes, qu’il y eut des exclamations dans la salle parmi ceux qui regardaient. Michel aussi dansait bien, et, tout en suivant sa danseuse, il avait des yeux si brillants et des joues si vives, que plusieurs s’avisèrent de dire : — Un joli couple ! c’est ma foi dommage que mam’zelle Lucie ne soit pas une paysanne, ou Michel un monsieur.

Ces paroles choquèrent l’oreille de Mlle Boc, et elle dit à Mme Bertin :

— Si j’avais des filles, ma chère dame, elles ne danseraient pas avec des paysans.

— Vous m’étonnez beaucoup, ma chère demoiselle, ré-