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Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/423

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la regardait anxieux. Elle murmura : Nous ne serions pas toujours seuls. Il tressaillit, et, la saisissant dans ses bras, il la baisa longuement au cou, tandis qu’elle détournait la tête.

— Eh bien alors, reprit-elle, nous serions des bourgeois pauvres et malheureux comme mon père et ma mère, au lieu d’être ici des agriculteurs aisés, vivant chez eux de leur travail, et que personne n’obligera de porter du drap noir et de la soie, ni d’employer à l’achat d’une toilette, pour quelque noce brillante, l’argent dont ils auraient besoin pour acheter du pain.

— Ah ! que vous avez raison, ma Lucie ! Oui, vivre ici de notre travail, ensemble, c’est le bonheur tout entier. Mais vous aurez toujours ce regret que le monde n’approuve pas notre mariage.

— Quand je suis avec vous, Michel, je ne pense qu’à vous, et l’opinion des autres ne m’est rien. Quand nous serons mariés, je n’aurai donc plus de peine, puisque nous serons toujours ensemble.

Elle sortit consolée de cette entrevue. Mais elle avait été si rudement frappée que la fièvre la prit le lendemain. Elle fut obligée de mettre un châle et de s’asseoir dans un fauteuil, livide et grelottante, vis-à-vis de Clarisse. En voyant ses deux filles dans cet état, côte à côte, Mme Bertin ne put retenir ses larmes et sortit du salon. Son mari la rencontra dans le corridor.

— Que diable as-tu ? s’écria-t-il.

Mme Bertin lui prit la main, et l’entraînant dans la cuisine, dont elle ferma la porte sur eux :

— Fortuné, dit-elle, Fortuné, s’il nous faut perdre une de nos filles, au moins je veux que l’autre nous reste. Cette malheureuse passion la dévore, eh bien ! j’aime mieux mourir de honte que de la voir mourir de chagrin. Hélas ! que n’habitons-nous un désert ! Avec quelle joie