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Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/95

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d’autres amants, va, petite folle, et cela ne t’empêchera pas plus tard de te marier.

Lucie n’en écouta pas davantage. Saisie de stupeur au premier moment, bientôt elle rassembla ses forces et s’éloigna, quoique ses jambes tremblantes eussent peine à la porter. Quand elle fut loin, elle se laissa tomber sur l’herbe, étonnée et frémissante dans toute la profondeur de son ignorance et de sa pureté. Voilà donc le bonheur de ma cousine ! Oh ! pauvre Aurélie !

Elle n’éprouva pas dans un seul repli de sa conscience la moindre satisfaction secrète d’avoir à plaindre celle dont la destinée avait toujours insulté à la sienne. Non ; elle était trop épouvantée du mal qui se révélait à elle ; elle en souffrait trop vivement.

C’est une dure épreuve pour une âme pure quand la connaissance du mal y pénètre. C’est une sorte de viol moral, et la virginité de l’âme en est à jamais détruite. Car à mesure que les révélations se multiplient, l’énergie de la révolte s’use jusqu’à s’éteindre, et la vertu ne s’élève jamais à la hauteur de l’innocence. Excepté ceux qui naissent avec des instincts pervers, le mythe de la Genèse est l’histoire de toute adolescence, et tous nous sommes tour à tour chassés de l’Éden par la connaissance du mal. — C’est un enfant qui, dans les mythologies antiques, représentait l’âge d’or.

Mon devoir est-il de me taire ou de parler ? se demanda Lucie. Outre Lisa, M. Gavel trompe indignement la famille Bourdon, et me taire serait consentir au malheur de ma cousine.

Mais à qui faire cette confidence ? M. Bourdon et M. Bertin étaient si peu chastes dans leurs plaisanteries, et leur manière d’apprécier les faits était quelquefois si peu morale, que la jeune fille se sentit déconcertée d’avance en face de l’un ou de l’autre de ces deux confidents. Quant