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ceux qu’on trouve sous le toit des chaumières et dans les cours de fermes.

Ce mérite qu’elle a reçu du milieu qui l’entoure, elle entend le conserver pour lui : il souffrirait une diminution d’éclat si elle le rendait l’hôte des villages. C’est en vain qu’elle remarquera chez tel de nos paysans (en admettant qu’elle les voie d’assez près), l’énergie du caractère unie à la véritable noblesse du cœur, à la justesse de l’esprit. L’estime est un sentiment sans force en ces jeunes têtes ; elle n’y éveillera pas l’amour ; elle n’empêchera jamais certaines répugnances dont il ne s’accommode point. Voilà pourquoi, malgré tout l’art des romanciers, de tels mariages, au lieu de l’inclination mutuelle et irréfléchie de deux jeunes cœurs, révèlent toujours de l’un des côtés je ne sais quel parti pris qui sent l’apostolat ; car l’héroïne est trop avisée pour renoncer aux habitudes distinguées que le lecteur lui suppose ; elle saura y gagner son mari ; elle l’élèvera à son niveau. Cela donne certainement à la passion quelque chose de ferme et de généreux qui intéresse les esprits graves ; mais elle y perd aussi de son caractère naïf et spontané, puisqu’il paraît contradictoire à la nature de l’amour d’aimer ce qu’on trouve d’abord nécessaire de rendre aimable.

J’avais besoin d’insister sur la difficulté qu’il y a à concilier dans un roman de ce genre le naturel et la simplicité avec la donnée rigoureuse du sujet. Cette difficulté, l’auteur d’Un mariage scandaleux l’a vaincue. Nulle part la vérité des caractères et des sentiments n’est sacrifiée au besoin de défendre une thèse sociale. Il ne se peut rien de plus naïf et de moins forcé que le doux commencement de l’amour de Lucie pour Michel. Sa vanité patricienne s’offense d’abord que ce jeune paysan ose lever les yeux sur elle. Mais cornaient dédaigner cet amour timide et dévoué ? Personne encore ne l’a aimée et personne ne l’aimera. Pauvre fille sans dot, elle vieillira dans l’abandon comme sa sœur Clarisse. Son cœur se révolte, elle veut vivre, elle veut être épouse et mère. Dès lors son parti est pris : elle ne prétend pas que son mariage soit un défi jeté à la face du monde, mais elle ne reconnaît pas aux préjugés de ce monde égoïste le droit de lui interdire toutes les tendres aspirations de la nature, la vie complète et libre. Elle accepte bravement le combat ; elle aime Michel, elle l’épousera, et ses parents n’en gé-