Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/502

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doute, il y a, chez certains peuples, des pratiques déraisonnables ou barbares ; mais celles-là sont artificielles ; il faut chercher à les réformer, mais non s’en choquer. Ainsi, à l’est de Ue, les Tchee-mou dévorent tous les premiers nés, pour le bien, disent-ils, des enfants qui viendront ensuite. Quand leur aïeul est mort, ils chassent l’aïeule, parce que, disent-ils, étant la femme d’un mort, elle leur attirerait des malheurs. — Au sud de Tch’ou, les Yen-jenn raclent les chairs de leurs parents morts et les jettent, puis enterrent pieusement leurs os. Quiconque, parmi eux, ne ferait pas ainsi, ne serait pas réputé fils pieux. — A l’ouest de Ts’inn, chez les I-k’iu, dans le pays de Wenn-k’ang, les parents morts sont brûlés, afin qu’ils montent au ciel avec la fumée. Quiconque ne ferait pas ainsi, serait tenu pour impie. —

G. Soyons réservés dans nos jugements, car même le Sage ignore bien des choses, et des choses qui se voient tous les jours. ... Confucius voyageant dans l’est, vit deux garçons qui se disputaient, et leur demanda la raison de leur dispute. Le premier dit : moi je prétends que, à son lever, le soleil est plus près, et que, à midi, il est plus loin. Le second dit : moi je prétends que, à son lever, le soleil est plus loin, et que, à midi, il est plus près. Le premier reprit : à son lever, le soleil paraît grand ; en plein midi, il paraît petit ; donc il est plus près le matin, et plus loin à midi ; car l’éloignement rapetisse les objets. Le second dit : à son lever, le soleil est frais ; en plein midi, il est ardent ; donc il est plus loin le matin et plus près à midi ; car l’éloignement d’un foyer diminue sa chaleur. Confucius ne trouva rien à dire pour décider cette question, à laquelle il n’avait jamais pensé. Les deux garçons se moquèrent de lui et dirent : alors pourquoi dit-on de vous, que vous êtes un savant ?

H. Le continu (la continuité) est la plus grande loi du monde. Il est distinct de la cohésion, du contact. Soit un cheveu. On y suspend des poids. Il y a rupture. C’est le cheveu qui est rompu, pas le continu. Le continu ne peut pas être rompu. Certains ne croient pas cela. Je vais leur prouver, par des exemples, que le continu est indépendant du contact. — Tchan-ho pêchait avec une ligne faite d’un seul filament de soie naturel[1], une aiguille courbée lui servant d’hameçon, une baguette de gaule, la moitié d’un grain de blé d’amorce. Avec cet appareil rudimentaire, il retirait des poissons énormes d’un gouffre profond, sans que sa ligne se rompît, sans que son aiguille se redressât, sans que sa baguette pliât. Le roi de Tch’ou l’ayant appris, lui demanda des explications. Tchan-ho lui dit : Jadis le célèbre archer P’ou-ts’ie-tzeu, avec un arc très faible et une flèche munie d’un simple fil, atteignait les grues grises dans les nuages, grâce à son application mentale qui établissait le continu de sa main à l’objet. Je me suis appliqué durant cinq ans à arriver au même résultat dans la pêche à la ligne. Quand je jette mon hameçon, mon esprit entièrement vide de toute autre pensée, va droit au poisson, par ma main et mon appareil, établissant continuité, et le poisson

  1. Tel que le ver à soie le produit ; il faut réunir plusieurs de ces filaments, pour faire un fil.