Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/508

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un artiste nommé Yen-cheu. Que sais-tu faire ? lui demanda l’empereur. ... Que Votre Majesté daigne me permettre de le montrer, dit l’artiste. ... Je te donnerai un jour, dit l’empereur. — Quand le jour fut venu, Yen-cheu se présenta devant l’empereur, avec une escorte. Qui sont ceux-ci ? demanda l’empereur. ... Ce sont mes créatures, dit Yen-cheu ; elles savent jouer la comédie. ... L’empereur les regarda stupéfait. Les automates de Yen-cheu marchaient, levaient et baissaient la tête, se mouvaient comme des hommes véritables. Quand on les touchait au menton, ils chantaient, et fort juste. Quand on leur prenait la main, ils dansaient, en cadence. Ils faisaient tout ce qu’on peut imaginer. — L’empereur décida de les donner en spectacle à son harem. Mais voici que, tout en jouant la comédie, les automates tirent des œillades aux dames. Furieux, l’empereur allait faire mettre Yen-cheu à mort, croyant qu’il avait frauduleusement introduit des hommes véritables. ¦ Alors celui-ci ouvrit ses automates, et montra à l’empereur qu’ils étaient faits de cuir et de bois peint et verni. Cependant tous les viscères étaient formés, et Yen-cheu démontra à l’empereur, que, (conformément à la physiologie chinoise), quand on enlevait à un automate son cœur, sa bouche devenait muette ; quand on lui enlevait le foie, ses yeux ne voyaient plus ; quand on lui enlevait les reins, ses pieds ne pouvaient plus se mouvoir[1]. — C’est merveilleux, dit l’empereur calmé ; tu es presque aussi habile que le Principe auteur de toutes choses ; ... Et il ordonna de charger les automates sur un fourgon, pour les rapporter à sa capitale. — Depuis lors on n’a plus rien vu de semblable. Les disciples de Pan-chou l’inventeur de la fameuse tour d’approche employée dans les sièges, et de Mei-ti le philosophe inventeur du faucon automatique, pressèrent vainement ces deux maîtres de refaire ce que Yen-cheu avait fait. Ils n’osèrent même pas essayer (la force de volonté capable de produire la continuité efficace leur manquant). —

N. Autre exemple du continu par l’intention. Quand Kan-ying le fameux archer bandait son arc, bêtes et oiseaux venaient se livrer à lui, sans attendre sa flèche. Il eut pour disciple Fei-wei, qui le surpassa. Fei-wei eut pour disciple Ki-tch’ang. Il commença par lui dire : d’abord apprends à ne plus cligner de l’œil, puis je t’apprendrai à tirer de l’arc. — Ki-tch’ang s’avisa du moyen suivant. Quand sa femme tissait, il se couchait sur le dos sous le métier, fixant les fils qui s’entre-croisaient, et la navette qui passait et repassait. Après deux années de cet exercice, ses yeux devinrent si fixes, qu’un poinçon pouvait les toucher sans les faire cligner. Alors Ki-tch’ang alla trouver Fei-wei, et lui dit qu’il était prêt. Pas encore, dit Fei-wei. Il te faut encore apprendre à fixer le point. Quand tu le verras grossi (par la force de ton intention) au point de ne pouvoir être manqué, alors reviens et je t’apprendrai à tirer de l’arc. — Ki-tch’ang suspendit à sa fenêtre un long crin de yak, auquel il fit grimper un pou, puis s’exerça à fixer le pou, quand le soleil passant derrière l’objet, lui donnait en plein dans les yeux. De jour en jour, le pou lui parut plus grand. Au bout de trois ans d’exercice, il le vit énorme, et distingua son cœur. Quand il fut arrivé à percer à coup sûr le cœur du pou, sans que la flèche tranchât le crin, il alla trouver Fei-wei. Maintenant, dit celui-ci, tu sais tirer de l’arc ; je n’ai plus rien à t’apprendre. — Cependant Ki-tch’ang se dit qu’il n’avait au monde d’autre rival que son maître, et résolut de se défaire de lui (dans une de ces luttes

  1. Les automates étaient mus par la volonté de Yen-cheu, par continuité mentale. C’est donc lui qui fit les œillades. Sa démonstration des viscères fut une duperie, pour sauver sa vie.