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N’y a-t-il pas dans vos regrets de ce que les hommes meurent, quelque ingratitude envers ceux qui vous ont rendu le service de mourir ? et les deux écuyers qui ont pleuré avec vous pour vous complaire, ne sont-ils pas de sots flatteurs ? Ce sont ces pensées-là, qui m’ont fait rire. — Honteux de son accès de sentimentalité déraisonnable, le duc but un plein rhyton pour pénitence, puis infligea aux deux écuyers de vider deux rhytons chacun.

I. À Wei, un certain Tong-menn Ou, ayant perdu son fils, ne le pleura pas. Quelqu’un qui demeurait avec lui, lui dit : vous aimiez pourtant votre fils ; comment se fait-il que, maintenant qu’il est mort, vous ne le pleuriez pas ? — Tong-menn Ou dit : jadis, durant bien des années, avant sa naissance, je vécus sans ce fils, sans me chagriner. Maintenant qu’il est mort, je me reporte à ce temps-là, me figure que je ne l’ai jamais eu, et ne me chagrine pas davantage. D’ailleurs, à quoi bon ? !. Les agriculteurs se soucient de leurs récoltes, les marchands de leur commerce, les artisans de leur métier, les officiers de leur emploi. Or tout cela dépend de circonstances indépendantes de leur volonté. A l’agriculteur il faut de la pluie, au marchand de la chance, à l’artisan de l’ouvrage, à l’officier une occasion de se distinguer. Or c’est de la fatalité uniquement, que dépendent les circonstances et les occasions.


Chap. 7. Yang-tchou[1].

A. Yang-tchou voyageant dans le pays de Lou, séjourna dans la famille Mong. Maître Mong lui demanda : Ne suffit-il pas d’être un homme (la plus noble des créatures) ? faut-il encore s’agiter pour devenir célèbre (comme vous faites) ? — Le renom, dit Yang-tchou, appelle la fortune. — Et puis ? — Puis vient la noblesse. — Et puis ? — Puis vient la mort. — Alors c’est pour mourir, que l’on s’agite ? dit maître Mong. — Non pas, dit Yang-tchou ; c’est pour transmettre sa réputation, après sa mort, à ses descendants. — Est-il bien sûr qu’ils en hériteront ? fit maître Mong. N’arrive-t-il pas que ceux qui ont peiné et souffert pour devenir célèbres, ne transmettent rien à leurs descendants ; tandis que ceux dont la vie a été médiocre ou mauvaise, élèvent leur famille ? Ainsi Koan-tchoung, ministre du duc de Ts’i, qui servit son maître avec la plus extrême servilité, jusqu’à faire siens ses vices, ne laissa rien à sa famille. Tandis que T’ien-cheu, autre ministre de Ts’i, qui prit toujours et en tout le contre-pied du duc son maître, arriva à léguer à ses descendants le duché usurpé par lui. Dans ces deux cas parallèles, la réputation méritée de Koan-tchoung ne rapporta à ses descendants que la pauvreté, tandis que la réputation imméritée de T’ien-cheu fit la fortune de

  1. C’est à Lie-tzeu et à Tchoang-tzeu, que nous devons ce que nous savons de ce philosophe épicurien égoïste, contre lequel Mencius s’agita beaucoup ; à supposer qu’il y ait du vrai, dans ce qu’ils racontent de lui. Voir mes Textes philosophiques chap. X.