Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/558

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parce qu’il est mort ; vous manquez de logique. — Non pas, dit Tchou-li-chou. J’ai quitté le duc, parce qu’il me témoignait trop peu de faveur. Je me tue, parce qu’il ne pourra jamais plus me témoigner de faveur. Je veux enseigner aux maîtres de l’avenir à traiter convenablement leurs officiers, et laisser aux officiers l’exemple d’un dévouement plus qu’ordinaire. — Ce Tchou-li-chou sacrifia vraiment sa vie à un idéal élevé.

S. Yang-tchou dit : quand le bien s’en va, le mal arrive. Les sentiments intérieurs, se répercutent au dehors. Aussi les Sages veillent-ils sur tout ce qui émane d’eux.

T. Le voisin de Yang-tchou ayant perdu un mouton, réunit tous ses gens, et appela même les domestiques de Yang-tchou, pour l’aider à le chercher. — Yang-tchou dit : pour un seul mouton, est-il besoin de tant de monde ? — C’est que, dit l’autre, dans la montagne, les sentiers sont très nombreux. — Quand les chercheurs furent revenus, Yang-tchou demanda : le mouton est-il retrouvé ? — Non, dirent-ils. — Pourquoi pas ? — Parce que les sentiers se subdivisant à l’infini, impossible de les battre tous. — Yang-tchou devint triste. Il cessa de parler et de rire. — Après plusieurs jours, étonnés de cette mélancolie, les disciples lui dirent : perdre un mouton, ce n’est pas une perte ; et puis, ce n’était pas votre mouton ; pourquoi vous affecter à ce point ? — Yang-tchou ne répondit pas. Les disciples n’y comprirent rien. — Mong-sounn-yang étant sorti, dit la chose à Sinn-tou-tzeu. A quelques jours de là, Sinn-tou-tzeu entra avec Mong-sounn-yang chez Yang-tchou, et lui parla en ces termes : Dans le pays de Lou, trois frères étudièrent la bonté et l’équité sous le même maître. Quand ils furent revenus à la maison, leur père leur demanda : Qu’est-ce que la bonté et l’équité ?.. C’est, dit l’aîné, sacrifier sa réputation pour le bien de sa personne. C’est, dit le puîné, sacrifier sa personne pour acquérir de la réputation. C’est, dit le cadet, avoir soin de sa personne et de sa réputation. ... Ainsi ces trois élèves d’un même lettré soutenaient trois thèses différentes. A qui la faute ? au maître ou à eux ? — Yang-tchou répondit : parmi les riverains des fleuves et des rivières, beaucoup sont bateliers ou passeurs. Ces hommes ont des apprentis, auxquels ils apprennent à manier barques et bacs. Près de la moitié de ces apprentis se noie. A qui la faute ? au maître ou à eux ? Le maître leur a-t-il appris à se noyer ? — Sinn-tou-tzeu sortit sans rien dire. Dehors, Mong-sounn-yang mécontent lui dit : pourquoi avez-vous ainsi jasé ? nous n’en savons pas plus que devant. — Vous n’y entendez rien, dit Sinn-tou-tzeu. Ne voyez-vous pas que j’ai fait dire au maître son secret ? Le mouton égaré dans les sentiers si nombreux de la montagne, l’avait fait penser aux disciples égarés dans l’infinie diversité des écoles. C’est sur les esprits égarés qu’il s’attriste. Somme toute, la science est une et vraie, mais, parmi les multiples déductions qu’on en tire, il en est d’erronées. Le maître qui se trompe, égare ses élèves ; les disciples qui se trompent, s’égarent malgré leur maître.

U. Yang-pou, frère de Yang-tchou, étant sorti en habits de toile blanche, fut mouillé par la pluie, changea, et rentra en habit de toile noire.